Un groupe de chercheurs dirigé par Mikhail Lukin, professeur de physique à Harvard et par Vladan Vuletic, professeur de physique de l’institut technologique de Massachussetts, a bouleversé d’une manière inattendue les connaissances actuelles sur la nature de la lumière et est parvenu à créer un état de la matière qui, il y a à peine quelques semaines encore, était purement théorique : il s’agit de photons qui se conduisent comme s’ils avaient une masse.
Cela fait des décennies que les photons sont décrits comme des particules sans masse qui ne peuvent pas interagir entre elles. Par exemple, si l’on croise deux rayons lasers, les faisceaux de lumière passeront l’un à travers l’autre, ils se croiseront en se traversant.
Molécules de lumière : du laser traditionnel aux épées de lumière

Image : Flickr. PackardFoundation
Le groupe de chercheurs du centre d’atomes ultrafroids Harvard-MIT est parvenu à créer un type de milieu (qu’ils appellent milieu extrême) où les photons interagissent entre eux avec une telle force qu’ils se conduisent comme s’ils avaient une masse et qu’ils s’unissent pour former des molécules.
Lukin a déclaré qu’il n’était pas déplacé de faire une analogie avec les épées au laser que l’on voit dans des films comme Star Wars, qui appartenaient jusqu’alors au pur domaine de la science fiction. La physique présumée qui sous-tend ce que nous voyons dans ces films est très proche de ce que nos chercheurs ont obtenu : les photons, en interagissant entre eux, se bousculent et se dévient les uns les autres.
<h3″>L’expérience
Les scientifiques ont bombardé des atomes de rubidium dans une chambre à vide de façon à créer un nuage qu’ils ont ensuite refroidi pratiquementjusqu’au zéro absolu. Employant de très faibles pulsations de laser, ils ont alors tiré des photons individuels dans le nuage d’atomes. « Lorsque les photons entrent dans le nuage, leur énergie excite les atomes sur leur trajectoire, ce qui entraîne une forte décélération des photons. Au fur et à mesure que les photons avancent dans le nuage, cette énergie passe d’un atome à un autre, puis abandonne le nuage en même temps que le photon », explique Lukin dans un article publié sur le site web de l’université de Harvard. Il ajoute : « Lorsque le photon abandonne le nuage, il conserve son identité. L’effet est le même que celui que nous observons dans la réfraction de la lumière dans un verre d’eau. La lumière pénètre dans l’eau, délivre une partie de son énergie au milieu et existe à ce moment-là comme lumière et matière. Pourtant, quand elle ressort, c’est toujours de la lumière. Le processus est le même, bien qu’un peu plus extrême dans ce cas. La lumière décélère considérablement et délivre beaucoup plus d’énergie que dans la réfraction. »

Photons présentant une forte attraction mutuelle dans un milieu quantique non linéaire. (Image : Nature).
Les scientifiques n’ont pas caché leur surprise lorsqu’ils se sont aperçus que quand ils tirent deux photons dans le nuage, les deux ressortent ensemble, comme une seule molécule. Cela s’explique par l’effet de blocage de Rydberg : lorsqu’un atome est excité, ceux qui se trouvent à proximité ne peuvent pas être excités au même degré. Dans la pratique, cela signifie que lorsque deux photons entrent dans le nuage atomique, le premier excite un atome, mais doit avancer pour que le deuxième photon puisse exciter les atomes voisins. Il en résulte que les deux photons commencent un « bras de fer » au sein du nuage pendant que leur énergie est délivrée d’un atome au suivant. De la sorte, les deux photons se conduisent comme une molécule et lorsqu’ils abandonnent le milieu où ils se trouvent, il est beaucoup plus probable qu’ils le feront ensemble, en tant que molécule, que comme photons individuels.
Lukin reconnaît que cette découverte ouvre un immense domaine à explorer, tout en affirmant que les principes physiques que le groupe a établis grâce à son travail sont, sans aucun doute, importants et que, entre autres applications, ils serviront construire des ordinateurs quantiques.